LA GESTATION POUR AUTRUI  ET LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME : ESQUISSE D’UNE LIGNE DE JURISPRUDENCE  DEPUIS L’ARRET  PARADISO ET CAMPANELLI  c. Italie du 24 JANVIER 2017 (Grande Chambre)   LA GESTATION POUR AUTRUI  ET LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME : ESQUISSE D’UNE LIGNE DE JURISPRUDENCE  DEPUIS L’ARRET  PARADISO ET CAMPANELLI  c. Italie du 24 JANVIER 2017 (Grande Chambre)

L’Arrêt PARADISO et CAMPANELLI c/Italie, du 24 janvier 2017 (Grande Chambre) a été accueilli par les médias comme étant un  « spectaculaire » revirement de jurisprudence  la Cour Européenne des Droits de l’Homme[1] . La Cour  statuant en appel (Grande Chambre), infirmant son Arrêt de janvier 2015, a rejeté le recours d’un couple d’Italiens contre la décision de retrait de la garde d’un bébé âgé de six mois  né par gestation pour autrui en Russie pour le remettre à l’adoption, l’enfant étant considéré par l’Italie comme n’ayant pas de filiation, en dépit de son acte d’état civil russe. (1).

 

L‘Arrêt LABORIE c. FRANCE du 19 janvier 2017 a condamné pour la 5ème fois la France qui a refusé la transcription d’un acte d’état civil  étranger de déclaration de naissance pour motif de naissance par gestation pour autrui. (2).

 

Y –a-t-il une ligne jurisprudentielle qui se dégage de ces deux décisions apparemment contradictoires au regard du sa position constante depuis l’Arrêt MENNESSON c. France et LABASSEE c. France (26 juin 2014) que la gestation pour autrui n’est pas contraire à l’ordre international public ? (3).

 

Quelles perspectives  peut-on tirer de ces décisions pour l’avenir ? (4)

 

 

1- L’ARRET PARADISO ET CAMPANELLI  c/ Italie (Grande Chambre) du 24 janvier 2017

 

Un couple italien, mari et femme ne pouvant avoir d’enfants s’était tourné vers un processus de gestation pour autrui par l’intermédiaire d’une société établie à Moscou.

L’enfant est né par l’apport de donneurs étrangers, en raison de la stérilité de l’homme et de la femme.

La filiation a été reconnue suivant la Loi Moscovite et un acte de naissance russe a déclaré l’homme et la femme comme étant le père et la mère légales de l’enfant.

L’Italie a refusé la transcription de l’acte de naissance russe et a ajouté le retrait de l’enfant – un bébé de six mois- déclaré sans père et mère et adopté par un couple italien selon la procédure italienne  d’adoption.

Dans un premier Arrêt (janvier 2015)  la Cour Européenne des Droits de l’Homme a sanctionné l’Italie pour violation du Droit à une vie privée et familiale, le couple s’étant comporté comme des parents pendant la vie familiale commune avec l’ enfant  même s’il n’était pas lié par un lien biologique. L’Italie a été condamnée à 30.000 €, montant inférieur à  celui réglé au titre de  la gestation qui était de 49.000 €.

Observons que le mal était fait et que la Cour n’a pas eu l’audace d’ordonner le retour de l’enfant à ses parents légalement reconnus par la Loi Russe.

La Cour ne  fait que sanctionner financièrement les Etats- membres mais ne s’immisce pas dans l’ordre interne, ce qui est regrettable, permettant ainsi de laisser perdurer une situation contraire à ses décisions.

 

 

Indignés par cette décision jugée inacceptable, deux juges italiens ont critiqué l’Arrêt, estimant qu’il « réduisait à néant la liberté des Etats de ne pas reconnaître d’effets juridiques à la gestation pour autrui et même la légitimité du choix de l’Etat en ce sens. ».

 

Pour satisfaire ces Juges et l’Italie –pays du siège du Vatican-la Cour statuant en forme d’appel (Grande Chambre) a entériné la décision de retrait de l’enfant en déclarant l’absence de vie familiale de l’enfant avec ses parents compte tenu de l’absence de lien biologique, de la courte durée de leur cohabitation,  de la « précarité des liens juridiques entre eux malgré l’existence d’un projet parental et la qualité des liens affectifs. »

 

La Cour a déclaré – malgré tout- que la vie familiale du couple avait été affectée par le retrait de l’enfant, mais que cette atteinte était moins légitime que la défense de l’ordre et la protection des libertés d’autrui, celle de la  protection de l’enfant en matière de filiation. Le principe de proportionnalité avait été respecté par cette mesure qui ne portait pas préjudice à l’enfant….

« La Convention ne consacre aucun droit de devenir parent ».. »Accepter de laisser l’enfant avec les requérants..serait revenu à légaliser la situation créée par eux en violation des règles importantes du droit italien. »

 

 

2- L‘Arrêt LABORIE c. FRANCE du 19 janvier 2017

 

La Cour confirme la jurisprudence MENNESSONc.FRANCE et LABASSEE c.FRANCE (26 juin 2014), l’Arrêt FOULON et BOUVET c.FRANCE (21 juillet 2016)[2].

Pour la 5ème fois, la France est condamnée pour son refus de transcrire les actes d’état civil d’enfants nés par gestation pour autrui pour violation du droit à la vie familiale et privée des enfants.

 

En France, depuis les Arrêts MENNESSON et LABASSEE, la gestation pour autrui n’est pas contraire à l’ordre public international, principe reconnu par la Cour de Cassation (Assemblée plénière) du 3 juillet 2015, ce qui n’empêche pas le refus du

Ministère Public de transcrire les actes de naissance étrangers laissant supposer la naissance par gestation pour autrui.

 

3- LA FILIATION BIOLOGIQUE : CRITERE LEGITIME DE GESTATION POUR AUTRUI ?

 

Pour tenter de justifier la décision italienne, les commentateurs ont souligné le critère du lien biologique comme étant celui qui rendait légitime le procédé de filiation.

Il est vrai que l’Arrêt PARADISO insiste sur l’absence de lien biologique de l’enfant avec les parents d’intention.

 

Ce critère est critiquable : La filiation est avant tout un critère légal : filiation par déclaration  à l’état civil  sans contrôle biologique, par reconnaissance,  par adoption,

Par contentieux judiciaire, le seul qui demande un examen biologique de paternité.

Dans l’histoire, la filiation a évolué : adoption du Droit Romain, primauté de la filiation légitime par mariage (encore actuellement), filiation naturelle, adultérine… etc.

La Cour rappelle le projet parental de qualité des parents d’intention, parents stériles qui ont fait une dépense importante pour avoir un enfant , l’ont élevé pendant six mois jusqu’à la décision de retrait.

 

Ce critère du lien biologique comme seul critère de filiation est donc  inexact et dangereux.

Il ne résiste pas en considération de l’Arrêt MENNESSON c/France et Labassee France

où les enfants nés aux Etats-Unis  n’avaient pas de lien biologique.

Et que dire face à la procréation  médicalement assistée, légale en France, où est implantée une cellule- zygote- qui comprend le patrimoine génétique du futur être humain, lequel peut n’avoir aucun lien biologique avec l’homme et la femme qui porte « l’enfant d’un autre » mais que sera déclaré le sien ?

 

-4 : PERSPECTIVES D’AVENIR : INSECURITE JURIDIQUE ET NON RESPECT DU DROIT INTERNATIONAL PUBLIC

 

 Avec l’Arrêt PARADISO – qui porte bien mal son nom- la Cour approuve l’Italie d’avoir piétiné  un acte d’état civil russe, totalement légal, au nom de la supériorité de la loi italienne.

 

La gestation pour autrui est reconnue par nombre de pays signataires ou non de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. La gestation pour autrui étant considérée comme un acte d’altruisme, valorisant  et non dégradant pour la femme porteuse donnant un enfant à un couple malheureux.

 

La Cour a approuvé par des motifs spécieux le retrait d’un bébé, voulu, chéri même avant sa naissance, d’un couple d’honnêtes personnes, ayant probablement tenté une procédure d’adoption quasi impossible, et ayant dépensé 49.000 € pour avoir ce bébé tant désiré.

 

Il est scandaleux de dénigrer la qualité de leur affection et de considérer ce bébé comme un « ballot »  transplanté à une autre famille italienne sur laquelle la Cour n’a aucune précision et se contente des explications inexistantes  du Gouvernement italien pour justifier de ce rapt fait intentionnellement à titre d’exemple pour punir le couple et ôter toute envie aux italiens d’avoir recours à la gestation pour autrui.

 

Les motifs politiques de cette décision obtenue sur la pression de deux Juges italiens au nom de la souveraineté des Etats de ne pas reconnaître la gestation pour autrui internationale sont contraires à la position traditionnelle de la Cour qui est de primer l’intérêt de l’enfant et son droit à une vie familiale et privé.

 

En laissant  aux Etats une marge d’action très violente (retrait de l’enfant), la Cour  porte atteinte à la sécurité juridique internationale et aux principes du Droit International Public sur la reconnaissance des actes d’état civil établis  dans les formes légales du pays  dans lequel ils ont été contractés (locus regit actus)  compromettant la reconnaissance des actes d’état civil de tout pays, souverain dans son appréciation nationale de la légalité des actes des autres pays, ouvrant une boîte de Pandore aux abus : refus de reconnaître l’égalité des enfants, refus de reconnaître les mariages homosexuels.

 

L’Italie, pays qui a longtemps refusé le divorce pour ses nationaux  n’est pas un exemple à suivre dans le traitement de la filiation internationale. Il est très regrettable que la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l’Homme ait versé dans la sanction des parents au nom d’une morale critiquable et en tout cas contraire au principe du respect de la vie familiale et privée. Et vexatoire pour les pays qui reconnaissent la légalité de cette filiation qu’est la gestation pour autrui et qui pourrait les amener à ne pas respecter les actes d’état civil des pays qui ont piétiné leur souveraineté.

 

 

 

 

 



[1] www.Famille chrétienne article du 24/01/2017 Par Grégoire Puppinck

[2] Voir  actualité juridique Village de la Justice « la gestation pour autrui : état du droit positif en France, en Europe et en Inde 27 novembre 2016 .Francine SUMMA